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Design sensoriel : une approche haptique du bien-être et de la santé

Des milieux de vie inclusifs et multisensoriels pour les personnes vivant avec un TSA

 

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De nombreuses personnes vivant avec une déficience intellectuelle (DI) ou un trouble du spectre de l’autisme (TSA) présentent une sensibilité excessive ou insuffisante aux stimuli sensoriels, ce qui modifie leur perception et leur interprétation du monde et les rend hyper- ou hyporéactifs à leur environnement.

C’est ici qu’entre en jeu le design sensoriel, une approche qui repense la perception de l’espace au-delà de la simple dimension visuelle en stimulant, mobilisant et amplifiant les liens entre le toucher, l’odorat, le son, la vue et la sensibilité du corps.

En collaboration avec la Fondation Yvon Lamarre, pionnière en matière de désinstitutionnalisation et d’hébergement des personnes vivant avec une DI ou un TSA, FLDWRK a développé Sensory Fragments, un outil de recherche appliquée en design. Il vise à créer des espaces de vie profondément inclusifs qui donnent aux individus – indépendamment de leurs capacités sensorielles – la possibilité d’assimiler les informations de leur environnement, de s’engager de manière significative dans le monde et de prendre part aux relations sociales qui s’y produisent.

« L’objectif de ce projet est de montrer que, au-delà des besoins pragmatiques et prosaïques en matière d’habitation, et nous devons avoir une compréhension plus approfondie de l’espace, de la matérialité et de l’expérience haptique. » — Andrew King

Mieux comprendre les besoins fondamentaux

La prévalence de l’autisme est en constante augmentation et les services disponibles ne suffisent pas à répondre à la demande. Selon le Réseau américain de surveillance des troubles du spectre de l’autisme et du développement du Centers for Disease Control and Prevention (CDC), les diagnostics d’autisme ont augmenté de 241 % depuis 2000. Rien qu’au Québec, où opère la Fondation Yvon Lamarre, le taux d’incidence est aujourd’hui de 22 à 25 cas sur 10 000 individus, alors qu’il n’était que de deux ou trois avant les années 1970. Malgré cette hausse, les services restent rares et les familles doivent s’occuper de leurs enfants autistes 24 heures sur 24.

Face à la pénurie de services résidentiels, Sensory Fragments s’attaque directement aux problèmes de logement en proposant des solutions architecturales fondées sur la santé et le bien-être, les soins de santé et la recherche cognitive. Le projet a pour ambition de créer des espaces de vie en milieu urbain spécialement conçus pour les adultes vivant avec une DI ou un TSA, dont la conception aurait un effet thérapeutique et apaisant sur l’hyperactivité et l’anxiété.

« Si vous étiez dans la tête d’une personne autiste, vous auriez des difficultés à exprimer vos besoins, vos sentiments et vos douleurs, et vous rencontreriez de nombreuses difficultés dans les relations sociales », explique Catherine Lamarre, vice-présidente de la Fondation Yvon Lamarre. « Ces personnes vivent beaucoup de stress et d’anxiété lorsqu’elles sont confrontées à des situations inattendues ; c’est pourquoi elles préfèrent avoir une routine. Elles n’ont pas beaucoup de champs d’intérêt, mais montrent une véritable fascination pour les sujets qui les passionnent et ont une grande capacité de concentration. »

« Pour améliorer leurs aptitudes en matière de communication et de sociabilisation, et mieux gérer leurs comportements, les personnes vivant avec un TSA ont besoin de fréquenter des centres d’activités encadrés par des professionnels et des lieux ayant une certaine prévisibilité qui limitent la surstimulation de leurs sens – luminosité, température, bruit, odeur. »

Créer des environnements qui facilitent l’expérience sensorielle

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« Un élément capital pour la conduite de ce projet est la notion d’échelle sensorielle et la manière dont nous pouvons l’appliquer pour favoriser la créativité, le confort et l’esprit de communauté. » – Andrew King

S’appuyant sur les objectifs de Steele et Ahrentzen pour la conception de résidences destinées aux personnes ayant un TSA ainsi que sur les principes de conception adaptée aux TSA de Magda Mostafa – acoustique, séquence spatiale, espaces de calme-retrait, compartimentation, zones de transition, zones sensorielles et sécurité –, les aménagements de FLDWRK offrent des milieux de vie accessibles, sûrs, fondés sur la santé et le bien-être qui maximisent la familiarité, la stabilité, le soutien et la clarté tout en minimisant les surcharges sensorielles.

Ce sont des environnements qui permettent de contrôler l’interaction sociale et l’intimité des résidents tout en laissant une place au choix personnel et à l’indépendance. Ils sont à la fois viables et abordables d’un point de vue pratique et, par-dessus tout, renforcent la dignité des personnes qui y vivent.

Chaque résidence adopte une forme radicalement différente de celle des habitations traditionnelles, depuis les salles de séjour et les chambres à coucher jusqu’aux salles d’exercice, piscines, cinémas et espaces de refuge. Les matériaux et les textures – comme les feutres sombres, le liège et l’alternance entre le béton lisse et strié – contribuent aussi à façonner les interactions haptiques et acoustiques à l’intérieur.

Lorsqu’on conçoit des résidences pour personnes ayant un TSA, il est primordial de tenir compte de l’échelle sensorielle. Celle-ci détermine les différents espaces et les liens entre chacun d’eux, en les divisant en fragments :

Maisons — C’est ici que la conception trouve un équilibre entre stabilité et flexibilité, favorisant une routine domestique pour créer un sentiment de familiarité et d’indépendance chez les résidents. Les ouvertures sur le toit offrent une luminosité diffuse et neutre tout au long de la journée pour des interactions sociales plus agréables ; des palettes de couleurs chaudes et neutres et des matériaux naturels tels que le bois et le béton facilitent la séquence spatiale entre les aires privées et publiques.

Espaces communs — Comme les pièces à forts stimuli sont mieux appréhendées dans une architecture simple, les espaces de calme-retrait sont répartis dans les aires communes et les couloirs, tout en étant légèrement dissimulés. Leurs proportions et revêtements facilitent l’identification, et leurs perspectives sont délimitées pour un meilleur contrôle sensoriel. L’aspect « intimité » y est presque toujours malléable, avec des rideaux lourds et des panneaux mobiles pour créer des divisions ou ouvertures temporaires.

Espaces de transition — Loin d’être accidentelle, la conception architecturale de ces espaces est hautement réfléchie et doit être aussi épurée que possible. Les couloirs menant aux zones calmes sont plus subtils, tandis que les aires d’activités sont plus dynamiques, avec un langage visuel identifiant clairement le retour vers les lieux domestiques et une logique spatiale assurée par des matériaux et un éclairage cohérent. Ces espaces agissent comme des zones tampons facilitant les transitions sensorielles – par exemple, le passage entre l’extérieur et l’intérieur ou entre un salon intime et une salle à manger animée, les différentes intensités physiques entre la montée d’escaliers et la position assise.

Espaces extérieurs — En raison du haut degré de stimuli de ces espaces, il est préférable d’adopter une approche paysagère plus douce, avec des détails tels que des voies de circulations aux formes arrondies, des essences d’arbres discrètes et l’accès à un plan d’eau apaisant. Ces espaces servent aussi à contrôler les interactions sociales entre les sphères publiques et privées. L’ajout de buissons et d’arbres plus volumineux à des endroits clés, notamment entre les bâtiments voisins et les aires de stationnement, crée une séparation délibérée avec le bruit et l’animation extérieurs, tout en favorisant la proximité du voisinage pour un cadre de vie agréable et convivial.

Redéfinir l’espace par l’inclusion

La recherche appliquée définit un nouveau cadre de conception de lieux de vie adaptatifs et inclusifs, dans lesquels les sens sont mis à l’avant-plan pour favoriser l’indépendance physique et le bien-être des occupants. Elle transforme l’architecture en parcours sensoriel, en aidant les résidents à interagir avec leur environnement physique par des moyens haptiques et visuels bien définis, et tire de ses conclusions des principes de conception qui permettent de construire rapidement des résidences à partir de structures existantes ou nouvelles.

Ces principes deviennent à leur tour des notions fondamentales qui informent sur la façon dont l’architecture peut répondre aux problématiques cognitives. En misant sur l’approche haptique, elle a non seulement l’occasion d’incarner le mieux-être, mais aussi de communiquer les enjeux plus larges entourant le design inclusif et l’impact considérable qu’il a sur les espaces privés et publics, et de redéfinir par la transdisciplinarité les processus de conception traditionnels qui guidaient jusqu’alors sa pratique.

Consultez les visées, les objectifs et les stratégies de Sensory Fragments en matière de conception d’espaces séquentiels et haptiques.

Si vous souhaitez faire un don à la Fondation Yvon Lamarre, donner de votre temps ou vous renseigner sur les ressources offertes aux personnes ayant une DI ou un TSA, visitez le site Web de la fondation.